Philosophie de boudoir

Écrivain ou auteur ?

Il y a quelque temps, je suis tombée sur l’interview de la directrice éditoriale d’une grande maison d’édition, qui  recommandait le roman d’un auteur de son écurie. Elle vantait son style exceptionnel, sa plume raffinée, et le qualifiait de « vrai écrivain ». Elle disait en substance qu’il y avait les écrivains et il y avait les autres, ces vulgaires « auteurs », qui ne méritaient pas un tel qualificatif.

Je voulais rebondir là-dessus car je trouvais dommage de faire un tel distinguo entre ceux qui écrivent. Pour moi, c’est simple, est écrivain toute personne qui écrit et publie des livres, quel que soit son niveau, son registre de langue, son genre littéraire… En fait, il y a derrière cette distinction entre écrivains et auteurs une sorte d’élitisme qui voudrait que certains méritent d’être considérés comme des écrivains en vertu d’un style jugé suffisant quand les autres ne seraient que des scribouillards, des plumitifs.

Prenons un boulanger qui ferait du mauvais pain (et il y en a un paquet). Dirait-on qu’il n’est pas boulanger ? Que ce n’est pas un vrai boulanger juste parce qu’il propose des produits de piètre qualité ? (la qualité étant par définition subjective)

Dirait-on d’un musicien qui ferait parfois des fausses notes ou raterait une prestation qu’il n’est pas musicien ?

Cela nous ramène à un certain élitisme français qui considère certains genres littéraires comme supérieurs aux autres et méprise la littérature populaire et la littérature de genre (fantasy, romance, jeunesse, pour ne citer que celles-là). Je trouve ça triste car ce n’est pas avec un tel élitisme intellectuel qu’on va redonner aux gens le goût de la lecture.

Et puis, si on commence à juger le talent et la légitimité des auteurs, qui sera juge de ce qui est bon ou mauvais en matière de littérature ? Les membres de l’Académie Française ? Ceux de l’académie Goncourt ? Les gens qui ont fait l’ENA ? On ne va sûrement pas demander l’avis de Mme Michu, concierge dans le 19e… On en revient donc à la question de l’élitisme.

Écrire est un art difficile. De nombreux apprentis auteurs souffrent du syndrome de l’imposteur et ne se sentent pas légitimes. Les éditeurs et acteurs du monde du livre devraient les encourager plutôt que de les juger. C’est comme ça que la culture sera vivante et diversifiée.

Une autrice jeunesse que j’admire et dont le style n’a rien à envier à ses confrères de la littérature adulte racontait qu’elle s’était rendue à un salon du livre où il y avait majoritairement des auteurs de littérature générale. Comme elle écrivait des romans pour enfants, ces derniers la toisaient et la regardaient de haut… (alors qu’elle vendait tellement plus de livres qu’eux)

Pour leur défense, je plaide moi-même coupable. Pendant longtemps, j’ai jugé certains livres et certains auteurs. Je ne comprenais pas, par exemple, le succès colossal de Fifty shades of grey, que je trouvais à l’époque « mal écrit » et dont le message sous-jacent – apologie des relations toxiques, du non-consentement – ne collait pas à mes valeurs anti-sexistes. Depuis, je me suis repentie. 🙂 Si des million de personnes ont acheté et apprécié ces romans, alors tant mieux, ça fait des millions de lectrices sur la planète et c’est une bonne chose ! Et puis, il en faut pour tous les goûts. Si ces livres ont répondu à un besoin, c’est parfait. Qui sommes-nous pour les juger ? Les goûts sont subjectifs et ne sont pas universels. Heureusement que le paysage littéraire n’est pas composé que de classiques et de prix Goncourt, ce serait d’un ennui et il y aurait encore moins de gens qui liraient !

Des millions d’enfants se sont remis à lire grâce à Harry Potter, des millions de jeunes filles ont découvert et lu Jane Austen grâce à Bella de Twilight, alors merci à ces autrices ! Elles ont bien plus contribué à la cause de la lecture que tous les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale réunis. 🙂

Alors, auteurs de tous bords, je vous le dis, nous avons tous notre place. 😉 Et nous sommes tous écrivains, quel que soit notre « niveau ». On ne peut pas plaire à tout le monde – par exemple, moi, j’adore Flaubert, alors que la plupart des gens ne supportent pas sa prose… Il y aura des gens qui détesteront ce que vous écrivez, mais il y en aura qui adoreront ! Vous aurez peut-être même des fans. Donc pensez à eux quand vous écrivez, pas aux critiques d’art.

Rappelons-nous que les livres d’Alexandre Dumas, généralement admis comme des chefs-d’œuvre aujourd’hui, étaient méprisés de leur temps car considérés comme de la littérature « populaire ».

 

 

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